En attendant le 19 avril et la sortie du roman, je vous avais promis un petit détour sur les terres de l'empire du Léopard, à la découverte de la Lune d'Or.
Première partie ci-dessous !
Le Codex colonial du Nouveau-Coronado est un ouvrage devant à terme comporter dix volumes : les livres 1-2 sont consacrés aux croyances religieuses des peuplades locales ; les livres 3-4 à l'astronomie et à la divination ; le livre 5 contient des prières et des discours traditionnels typiques de la rhétorique indigène ; le livre 6 traite du soleil, de la lune et des étoiles ; le livre 7 du commerce ; le livre 8 d'histoire et de géographie ; le livre 9 décrit la société et le livre 10 relate la phase de conquête proprement dite.
Celle-ci n'étant pas achevée après six ans de campagne militaire, ce dernier tome n'est pas encore disponible à la consultation.
Les recherches et la rédaction des textes d'une parution de cette importance reviennent habituellement à un représentant de la Croix-Blanche. Les conditions actuelles n'ont cependant pas encore permis à cet éminent ordre religieux de s'implanter durablement dans la péninsule, et ce Codex colonial est donc le fruit d'une initiative personnelle et du travail d'un alchimiste d'État, membre du 22e régiment d'artillerie, présent sur place, et de plusieurs contributeurs qui l'ont assisté dans cette tâche.
La Lune d'Or
La péninsule de la Lune-d'Or reste une région mal connue, sauvage, dont l'exploration demandera encore plusieurs années. Elle se situe de l'autre côté de la Grande Mer, dans le golfe de Sahagún, qui abrite également un chapelet d'îles volcaniques formant l'archipel de Loredan.
Si la superficie totale de la péninsule reste encore floue, trois cents lieues environ séparent l'extrémité de la pointe sud des montagnes de l'Azur au nord, frontières naturelles de l'empire du Léopard, qui l'isolent des territoires voisins.
Le roi Philippe II, actuel souverain du Coronado, a fait de notre nation une véritable puissance coloniale, comme ont pu le devenir d'autres États du Premier Continent. Ses prédécesseurs ayant été plus timides à cet égard, le royaume accuse toutefois un certain retard dans cette course de longue haleine. Philippe II reste néanmoins dépeint comme un monarque faible, un fantoche aux ordres de la Croix-Blanche, qui se serait fait berner par les récits enjolivés des explorateurs revenus à la cour, mentionnant de mirifiques cités d'or.
Notons que la réalité s'avère sans doute plus prosaïque : dernier parti, dernier servi.
Il reste indéniable que les premières années de conquête ont attaché une dimension hautement ironique au nom de la péninsule, la Lune d'Or, compte tenu des piètres résultats des premiers colons (qui préfèrent souvent se faire appeler "pionniers"). En effet, les terres tombées dans le giron du Coronado par l'action de l'armée coloniale se sont révélées presque infertiles, notamment celles situées à proximité des côtes. Jungles de montagne inhospitalières et plateaux volcaniques constituent l'essentiel de l'intérieur des terres, ne permettant pas de meilleure implantation.
Les quatre nations indigènes occupant initialement ces territoires se sont révélées incapables de s'organiser et ont été soumises par l'avancée disciplinée des troupes régimentaires. Le Coronado a pu ainsi établir une vice-royauté, reposant sur la fondation de Carthagène, première véritable cité coloniale de la péninsule dotée d'un port, qui bien que sommaire offre la sécurité d'une rade en eaux profondes.
Les premiers colons ont tenté de mettre à profit les ressources naturelles de l'endroit, mais les bénéfices sont encore très modestes, compte tenu de la pauvreté des sols. L'objectif principal reste de désenclaver l'ensemble du territoire par le développement d'un chemin de fer, un chantier ambitieux qui ne saurait être achevé en quelques mois.
L'Empire
Le nord de la Lune d'Or, au-dessus de la ligne d'équateur, est occupé par le mystérieux empire du Léopard, dont on ne sait encore que très peu de choses. Des émissaires ont été dépêchés vers la capitale, Xemballa, mais aucun n'est jamais revenu pour attester de l'échec ou de la réussite de sa mission. Nous ne disposons donc actuellement que d'informations parcellaires dont la fiabilité ne saurait être confirmée.
Il semble toutefois qu'il s'agisse d'une puissance sans égale dans la région, qui dispose d'une situation privilégiée, à l'abri derrière une imposante chaîne de montagne qui traverse la péninsule de part en part. L'essentiel des légendes colportées au sujet de la Lune d'Or tout entière paraît provenir de cet Empire, ou du moins de l'image qu'il entretient de lui-même. Les questions à son encontre restent à élucider : l'Empire bénéficie-t-il réellement d'un climat singulier, ou tout du moins plus clément que dans le reste de la péninsule ?
Tout porte à croire que cela pourrait être vrai, bien qu'il soit difficile d'accorder un réel crédit à la magie qu'on lui prête, au caractère surnaturel attribué à leurs plus hauts dignitaires ou même aux bêtes fabuleuses censées fouler leurs terres. D'aucuns ont même mentionné... des licornes ! C'est dire le peu de foi que l'on peut accorder à ces récits.
Il demeure donc plus probable et plus vraisemblable que les voyageurs aventureux y croiseront la route d'un jaguarondi, d'un bouquetin, d'une harpie féroce ou même d'un caïman.
Les forces militaires du Coronado, affaiblies par des mois de conquête éprouvante, attendent de potentiels renforts envoyés par la Couronne avant d'envisager une nouvelle campagne d'ampleur. L'Empire, quant à lui, n'a pas réagi à la chute successive des royaumes qui lui sont voisins et à l'asservissement de leurs populations : il reste dissimulé à l'intérieur de ses frontières brumeuses.
Nul doute que les prochains mois, que dis-je, les prochaines semaines peut-être, seront décisives quant au destin de la colonie elle-même. Que ce soit dans les rang de l'armée, chez les grands propriétaires terriens ou parmi les simples colons venus chercher fortune, on commence à s'inquiéter du silence du Coronado, alors que la Couronne semble bien peu sensible à leurs doléances.
Il faut dire que la saison des tempêtes n'aide pas à traverser l'océan, même avec la contribution de la vapeur...